Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Au Bonheur d'Écrire
6 janvier 2015

Je rêvais du soleil au bout de la nuit (deuxième extrait)

 

 

 

 

DIGITAL_BOOK_THUMBNAIL

Une fois dans le parc, je me dépêchai d’attaquer la montée qui m’amènerait à la hauteur du café-restaurant. Ensuite, par un escalier étroit et raide, je gagnerais la rue Botzariz, juste en face de la rue des Alouettes. Ma petite maison atypique se trouvait deux rues plus loin, au fond d’une cour fermée, nichée au pied d’un vieil immeuble. C’était un ancien atelier transformé en habitation. On pénétrait de plain-pied dans la cuisine américaine. Comme la porte d’entrée raclait le sol en tournant sur le seuil, je ne l’ouvrais qu’à moitié pour la refermer aussitôt derrière moi. À gauche, s’ouvrait toute grande une pièce rectangulaire dont deux murs consécutifs étaient à moitié remplacés par une ample verrière ; à droite, un escalier de bois montait vers une chambre ouverte, éclairée par deux fenêtres grillagées, et prolongée vers le fond par un débarras.

Je prenais ce trajet pour rentrer chez moi, après avoir fini la journée de travail au bureau de poste, qui se trouve derrière la mairie. La traversée du parc, en plus de l’agrément dont je pouvais jouir, m’épargnait le détour par la rue de Crimée. Il est vrai que je l’abordais fatiguée d’arpenter les rues, portant ma charge de papier noirci ; et, bien souvent, j'étais en proie au mal de l’âme qui ne me laissait que de rares répits.

Comme je connaissais chaque recoin du parc, je ne regardais plus guère autour de moi. Cet espace verdoyant, telle une émeraude incrustée sur le front de Paris, me plaisait naturellement, mais sa beauté, une fois bue à satiété par mes sens, ne me touchait plus que comme une caresse distraite, superficielle. Je ne faisais même pas attention au rythme des saisons qui, évoluant avec la frondaison des arbres, tournaient sans cesse dans au fil des années.

Parfois, Luciano m’accompagnait chez moi. Alors, la montée était plus lente ; à travers le regard de mon poète préféré, j’avais une perception différente du paysage environnant. Sillonné par le vol des oiseaux, l’espace palpitait de vie ; vibrant sur le feuillage, le vent propageait une litanie primitive venue du fond des âges ; quant à la cascade, ce n’était plus une chute d’eau, mais une coulée de cristal, charriant les mystères de la terre et reflétant les promesses du jour.

Cette nouvelle ascension, après une période pleine d’incertitudes, ne ressemblait à aucune autre. Elle resterait à jamais gravée dans ma mémoire.

J’avais crevé dans un accès de révolte mal contenue la bulle protectrice où me tenait ma mère, et je montais le cœur haletant sur les hauteurs du parc. Je pouvais désormais rêver d’une vie épanouie, puisque le souvenir refoulé qui me tourmentait ne demandait qu’à émerger dans ma conscience.

Pour surmonter la névrose, il m’avait fallu dix ans d’analyse, à raison de deux rendez-vous hebdomadaires, soit plus de mille séances en tout, avec l’effort pécuniaire et l’engagement personnel que cela implique ; mais, à présent, le fruit de ma persévérance me comblait : je serais bientôt guérie, guérie !

J’arrivais à la hauteur du café-restaurant quand l’orage éclata. La foudre n’avait pas fendu le ciel que le vent secouait les arbres par petites rafales ; puis, bourdonnant comme un gigantesque essaim de frelons, l’averse s’abattit tout à coup ; les allées furent vite noyées, des torrents boueux s’écoulaient sur toute leur largeur.

J’aurais pu me mettre à l’abri jusqu’à ce que l’orage s’éloigne. Je refusai ce réflexe ancestral, préférant prendre une douche mémorable. Du reste, je ne pressai nullement l’allure, continuant d’avancer comme si de rien n’était. La pluie marchait vite, se cambrant parfois, attelée à la queue du vent ; elle me prit à la taille, me saisit aux épaules, m’enveloppa bientôt tout entière dans sa tiédeur envahissante.

C’était comme une renaissance à la vie, sous le bain purificateur des nuages. Quand mes cheveux furent imbibés jusqu’à la racine, l’eau se mit à dégouliner de partout, comme sur une toiture de chaume ; elle passait au travers de mes habits légers, s’infiltrait sans entrave par le cou, coulant sur moi dans un flux doux, et finissant par me tremper de la tête aux pieds.

J’arrivais devant chez moi lorsque la pluie cessa aussi brusquement qu’elle avait dévalé l’espace. Lavée à grande eau, ma rue affichait un profil rafraîchi, un tantinet rieur, sous l’œil rayonnant de l’éclaircie qui éventrait les nuages.

Une fois dans la cour, j’ouvris ma boîte aux lettres comme à l’habitude, en rentrant du bureau. Au milieu d’un tas de prospectus, je trouvai un pli dont la vue me fit frémir d’émotion : je reconnus au premier coup d’œil l’écriture de Luciano. Cependant, je fus déçue en identifiant le timbre et le cachet qui l’oblitérait : la lettre avait été postée au Portugal. Il n’en était donc pas revenu ? me demandai-je, avant d’essayer de rassurer me disant qu’il y était peut-être parti en vacances.

À l’intérieur de la maison, l’atmosphère était lourde, imprégnée de relents désagréables, à cause du manque d’aération. Je me débarrassai rapidement de mes vêtements trempés et m’enveloppai dans un peignoir, sans rien en dessous. Je jetai un coup d’œil autour de moi, puis je montai dans la chambre. On avait fait le lit et rangé la pièce avec soin, tout semblait dans la disposition qui m’était familière; cependant, je remarquai que la photo de Luciano ne trônait plus sur la table de nuit.

Ayant ouvert toutes grandes les fenêtres, je m’assis sur le lit, la lettre à la main. Je brûlais de prendre connaissance de son contenu, la réponse aux questions qui me titillaient devait sans doute s’y trouver. Était-il tombé amoureux d’une autre femme ? Cela expliquerait pourquoi il avait cessé de m’écrire. Ainsi, il serait heureux, vivant sa nouvelle passion dans un cadre splendide, à quelques encablures de la mer. Mon image ne flotterait plus dans la solitude de ses nuits, agrémentant parfois son sommeil, par le biais de rêves voluptueux. Non, je refusais de croire qu’il ne pensait plus à moi, mon intuition me disait que nous pouvions reprendre le cours de nos rapports. La lettre que je venais de recevoir en était peut-être la preuve.

Je glissai l’ongle du pouce sous le rabat de l’enveloppe, dans l’un des coins supérieurs, et le déchirai d’un geste impatient : il y avait à l’intérieur deux feuillets manuscrits, pleins à ras bord de frémissements de l’âme de Luciano.

                              Livre à télécharger gratuitement les 7, 8 et 9 janvier:   http://www.amazon.fr/gp/product/B00R58ND4U                                                         

Publicité
Publicité
Commentaires
Au Bonheur d'Écrire
  • Cette page sera essentiellement consacrée aux deux romans que je m'apprête à auto-éditer. J'en publierai ici des Extraits. Il n'empêche qu'on y trouvera également des écrits qui vont de la fable aux petites nouvelles en passant par de petits essais.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Au Bonheur d'Écrire
Visiteurs
Depuis la création 474
Pages
Publicité