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Au Bonheur d'Écrire
2 mars 2015

Les frères Milba

 

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Les savants nous disent, en gros, que la personnalité d’un individu dépend de son patrimoine génétique, de l’éducation qu’il a reçue et des interactions avec son environnement socioculturel. Or, les frères Milba semblaient être venus au monde pour nous faire douter de cette théorie. Ils avaient le même patrimoine génétique, avaient été élevés de la même façon, dans le même environnement, et pourtant, tout les séparait.

Ils étaient si différents que l’on pourrait voir dans l’un l’antithèse de l’autre. Alex, l’aîné, était un grand gaillard, physiquement et moralement sain, robuste ; il était intelligent, avait un cœur noble et généreux, un esprit clair, si large qu’on pouvait y loger un monde, avec l’infini en toile de fond. En revanche, de deux ans son cadet, Jordi était un garçon souffreteux, d’intelligence moyenne, l’esprit borné, le cœur sec et l’âme chétive.

Les frères Milba ne s’aimaient guère, on pouvait même dire qu’Alex devait faire des efforts pour supporter les travers de Jordi, tandis que celui-ci ne parvenait pas toujours à dissimuler l’aversion qu’il éprouvait envers son frère aîné.

Quand ils étaient enfants, Alex et Jordi jouaient rarement ensemble, chacun d’eux cherchait des partenaires de son âge. Alex souffrait de voir que presque toutes les attentions de ses parents étaient réservées à son petit-frère, qui passait le plus clair de son temps à gémir, accroché à la jupe de sa mère. Certes, Jordi avait une santé fragile, il était souvent malade, mais était-ce une raison suffisante pour le délaisser, lui ?

Alex faisait volontiers l’école buissonnière, tandis que Jordi était un modèle de sérieux et d’application, vanté par l’institutrice qui ne tarissait pas d’éloges à son sujet. Seulement, Alex avait été reçu au baccalauréat avec la mention « très bien » et les félicitations du jury, mettant ainsi la barre trop haute à Jordi, qui ne réussit à décrocher qu’un pâle « assez bien » deux ans plus tard. Son échec relatif ne fit que redoubler le ressentiment qu’il nourrissait contre son grand-frère. Au fond, sa haine d’Alex provenait de l’incapacité qu’il éprouvait à accepter l’écrasante supériorité morale et intellectuelle de ce dernier.

Alex refusa de s’inscrire à l’université, il préférait seconder son père à la tête de sa fabrique de chaussures, qui employait une cinquantaine de personnes. Quant à lui, Jordi trouva là l’occasion de se faire valoir aux yeux de tous. Il s’inscrit à la faculté d’économie, non sans des arrière-pensées : plus tard, grâce à ses capacités, il serait naturellement amené à prendre la direction de l’affaire familiale.

Il savait pour quelle raison Alex avait refusé de poursuivre ses études ; il aimait Amanda depuis toujours, ne pouvait pas se résoudre à s’éloigner de sa dulcinée. La jeune fille travaillait dans leur entreprise, et Jordi, qui avait des vues sur elle, se disait qu’il l’aurait un jour, lorsqu’il serait le patron.

C’était aller un peu trop vite en besogne. Amanda était belle et désirable, mais elle faisait aussi preuve de beaucoup de caractère ; elle avait les pieds sur terre, savait très bien ce qu’elle voulait, et surtout, elle était si attachée à Alex qu’elle le suivrait dans les gorges de l’enfer.

Pendant la durée de sa formation universitaire, Jordi ne revenait qu’une fois de temps à autre revoir les siens, tandis qu’Alex avait l’impression d’avoir retrouvé la place qu’il méritait au sein de la famille. Le personnel le respectait, admirait son sens de l’équité, aimait la chaleur humaine qu’il dégageait. Quant à lui, le père Milba se plaisait à souligner les qualités de son fils aîné. « C’est un gestionnaire né, il a ça dans le sang. » disait-il à ses amis, avec fierté.

Entre-temps, Alex poursuivait sa relation avec Amanda, qui était de deux ans plus jeune que lui. Ils étaient heureux, cela se voyait dans leurs visages épanouis. Tant et si bien qu’ils songeaient à se marier l’année prochaine.

Mais Jordi rentra au bercail, faisant étalage de la supériorité que lui conférait le diplôme d’économiste qu’il avait en poche, l’air arrogant, bien décidé à prendre sa revanche sur son grand-frère. Celui-ci croisa les bras et fronça les sourcils, devant la perspective d’une situation délicate à gérer, dans les jours à venir.

Depuis quelque temps, le père Milba, fatigué, un peu handicapé par son arthrose, s’était peu à peu retiré des affaires, confiant à Alex la direction de la fabrique. Depuis que celui-ci était venu épauler son père, la productivité avait augmenté d’un tiers. On avait dû élargir les installations, acheter de nouvelles machines. Aussi, grâce aux bonnes relations nouées par Alex avec les clients, le carnet de commandes était toujours plein, tant et si bien que le personnel était souvent prié de faire des heures supplémentaires.

Maintenant qu’il tenait seul la barre, Alex ne doutait pas qu’il arriverait à augmenter encore la production, procédant de nouvelles embauches, mais la présence de Jordi, faisant valoir ses compétences pour assumer la direction de l’entreprise, venait contrer ses ambitions. C’était la théorie dans toute sa splendeur livresque contre la pratique portée au sommet de l’efficacité.

Alex dut employer à fond tous ses talents de négociateur, et faire appel au soutien de son père, pour trouver un terrain d’entente. Il reconnaissait volontiers l’apport important que représentait le savoir de Jordi dans l’entreprise, tout en mettant en avant sa méconnaissance du monde du travail. Finalement, après maintes palabres, un accord fut trouvé. Alex était chargé de la production et des relations avec les fournisseurs et les clients, tandis que son frère devait s’occuper de la comptabilité et des relations avec les banques.

Au fond, Jordi se rendait bien compte qu’il n’était pas prêt pour diriger l’entreprise tout seul. D’ailleurs, bien que ses études lui aient donné des compétences qu’Alex n’avait pas, le sens des affaires lui manquait cruellement. C’est une qualité qu’aucune université ne pouvait lui donner. Il sentait bien ses insuffisances pendant l’absence de son frère, lorsqu’il essayait jouer au directeur, descendant dans l’atelier, au milieu des ouvriers.

Il y venait surtout pour lorgner les femmes qui aiguisaient son appétit sexuel. Ensuite, sous un prétexte quelconque, il les attirait dans son bureau. Il ne tardait pas à dévoiler son jeu. Jordi était un homme immoral, cynique, prêt à profiter de sa position dominante pour posséder des femmes effrayées par la perspective de se retrouver sans travail.

Quelques-unes se plaisaient à s’abandonner par vanité, profitant au passage de la bienveillance et des avantages que le patron daignait leur accorder, mais la plupart d’entre elles se plaignaient, sous le manteau, du harcèlement dont elles étaient victimes.

Bien qu’elle travaille dans un bureau, à l’écart de l’atelier, Amanda eut vent des agissements de Jordi, et elle crut qu’il était de son devoir d’en informer Alex. Il n’en fut pas surpris outre mesure, son frère avait l’âme d’un débauché. En outre, par ses actes condamnables, il visait à créer dans l’entreprise familiale une atmosphère délétère dont il espérait tirer bénéfice. Si Alex décidait de s’en aller, rebuté par son comportement, il resterait le seul maître à bord.

Alex alla trouver son frère, blâma durement sa conduite indigne et lâche, et il lui enjoignit de se tenir à l’écart de l’atelier en son absence. Jordi tint tête à son accusateur, les yeux pleins de morgue, un sourire sarcastique aux lèvres : « Je fais ce qui me plaît, ici. Tu n’as pas le droit de me commander, je ne suis pas ton employé. »

Alex s’en remit à son père : « Si elles sont consentantes, je n’y vois pas d’inconvénient, dit le vieil homme qui, en son temps, s’était fait une solide réputation de chaud lapin.» Alex s’exaspéra : « La fabrique n’est pas un bordel !» s’écria-t-il. « Consentantes ou non, qu’il s’arrange pour les voir ailleurs. S’il continue de harceler les ouvrières, ça va mal tourner. Je t’aurais prévenu.» conclut Alex, mécontent de la complaisance de son père.

Quelque temps plus tard, Alex s’envola pour l’Italie où il allait participer au « Salon International de la Chaussure ». Cette fois, Jordi profita de son absence pour s’attaquer à Amanda. D’abord, il se mit à tourner autour d’elle, se répandant en allusions érotiques. La jeune femme le voyait venir, elle craignait le pire. Croyant décourager Jordi, elle appela le père Melbi et lui dit le harcèlement dont elle était victime.

Cette fois, celui-ci tança vertement son fils qui, à l’idée de se venger de son frère sur la personne d’Amanda, en fut d’autant plus excité. Il l’attira gentiment dans son bureau. Amanda s’y rendit de bonne grâce, persuadée qu’il allait lui faire des excuses. Jamais elle n’aurait pensé qu’il franchirait les limites de l’inconcevable. À peine eut-elle franchi le seuil de la pièce que Jordi ferma la porte à clé. Puis il alla s’asseoir sur le canapé : «Viens près de moi. On va s’amuser un peu.»

Amanda resta debout, le visage figé dans une grimace où se mêlaient frayeur et mépris : «Laisse-moi sortir ou je saute par la fenêtre. » dit Amanda d’une voix glacée.

Jordi se remit debout, il s’approcha de son bureau, sortit d’un tiroir un révolver qu’il pointa sur la poitrine de la jeune femme : «Approche, petite salope. Tu vas me faire plaisir, n’est-ce pas !» fit-il ouvrant sa braguette.

Amanda dut se résigner à le prendre dans sa bouche ; elle n’avait pas le choix ; elle ne doutait pas qu’il serait capable de tirer sur elle. Jordi caressait les cheveux d'Amanda de la main gauche, tenant le révolver de la main droite, et il avait le visage rayonnant de satisfaction malsaine, il jouissait de trois plaisirs à la fois : la volupté de la vengeance, du sexe et de l’humiliation d’Amanda, qui le méprisait depuis toujours.

Soudain, écœurée, elle fut prise de vomissements, et elle vida son estomac sur le bas-ventre de Jordi. Il repoussa la jeune femme avec dégoût, brutalement, puis il se releva de mauvaise humeur, regardant sa verge qui baissait pavillon, toute barbouillée de vomissure. De son côté, Amanda courut vers la porte qu’elle frappa désespérément de ses deux mains, criant au secours. Jordi  s’empressa de la pousser hors de son bureau, se renfermant ensuite à double tour.

Dès qu’elle fut libérée, Amanda quitta aussitôt la fabrique. C’est dans la rue, se dépêchant de rentrer à la maison, qu’elle appela Alex pour lui raconter le cauchemar qu’elle venait d’endurer.

Ce dernier laissa tomber les affaires sur-le-champ, et il sauta dans le premier avion pour rentrer au pays. Il se dirigea directement à la fabrique, il enfonça la porte du bureau de Jordi, qui rattrapa le révolver qu’il tenait à portée de main, mais Alex lui saisit le poignet à temps. Un coup de feu retentit, la balle s’incrusta au plafond.

Lorsque le comptable et le contremaître se précipitèrent dans le bureau, Alex était à califourchon sur Jordi, le massacrant à coups de poing. Il l’aurait sans doute tué, si les deux hommes n’étaient pas intervenus.

Sortant de la fabrique, Alex rejoignit ses parents à la maison. Il leur dit sans détour qu’il avait cassé les dents à son frère, pour le punir de son attitude inqualifiable envers Amanda. Puis il jeta le révolver de Jordi sur la table : « Il s’en est servi contre moi et Amanda. Il m’aurait tiré dessus, si je n’avais pas eu le réflexe de dévier le coup vers le plafond.» dit-il.

Il conclut annonçant aux deux vieillards abasourdis qu’il abandonnait la direction de l’entreprise tout de suite ; qu’il quittait la maison et la ville ; et qu’il avait l’intention de partir ailleurs avec Amanda, avant qu’un grand malheur ne vienne endeuiller la maison.

Tout en préparant ses valises, Alex réfléchissait à la situation : « Je m’en vais loin d’ici. Papa n’a plus assez d’énergie pour reprendre les choses en main. Livrée à Jordi, l’entreprise fera faillite avant six mois. Je ne déserte pas, je veux éviter l’irréparable. Si je restais, on finirait par s’étriper, moi et Jordi. Certes, je fuis le mal au lieu de le combattre. Mais que puis-je contre le mal, ce rat monstrueux qui ronge les cœurs, assoiffé de douleur et de mort ? Je suis le plus sage des deux, je dois donc m’en aller.»

 

 

 

 

 

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Commentaires
Au Bonheur d'Écrire
  • Cette page sera essentiellement consacrée aux deux romans que je m'apprête à auto-éditer. J'en publierai ici des Extraits. Il n'empêche qu'on y trouvera également des écrits qui vont de la fable aux petites nouvelles en passant par de petits essais.
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