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Au Bonheur d'Écrire
2 janvier 2015

Je rêvais d'un soleil au bout de la nuit (Extrait 1)

 

 

 

 

 

 

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Au réveil, sortant d’un rêve délicieux qui me ravit le cœur, je sus que le jour se levait avant même d’ouvrir les yeux ; j’entendis le gazouillis d’oiseaux affairés dehors, glanant de quoi faire le premier repas de la journée.

Après de longs mois vécus dans les affres de la dépression, je pouvais rentrer chez moi, guérie ou en passe de l’être, suivant l’avis de mon psychanalyste. J’étais contente des perspectives que m’ouvrait l’amélioration de mon état de santé ; je pourrais bientôt reprendre une vie normale parmi des gens normaux.

 Je me mis à esquisser des projets d’avenir, exercice qui ne m’était pas permis auparavant. À trente-six ans, j’avais pratiquement tout raté. Mon enfance ne m’avait guère laissé de souvenirs attendrissants, et mon adolescence, vécue à l’orée du cauchemar, était restée dans mon souvenir comme un désert sans oasis ni mirages, où les rêves de bonheur durable m’étaient pour ainsi dire interdits. Et voilà que maintenant la vie s’ouvrait devant moi comme un soleil dans un ciel d’été, et que l’espoir m’inondait le cœur de sa lumière.

Je refusais de me laisser enivrer par ce lent regain de vie. La forme physique et morale me procurait sans doute un mieux-être, mais elle ne saurait à elle seule me prodiguer le bonheur dont je rêvais. Je m’étais retrouvée du jour au lendemain dépourvue d’un point d’ancrage solide dans le monde. Le départ de Luciano avait creusé en moi un vide que personne ne semblait pouvoir combler. Un sentiment de solitude s’emparait de moi quand j’évoquais les moments délicieux que nous avions vécus ensemble; son absence m'avait jetée dans une indicible frustration qui, jour après jour, tel un bateau en perdition, m’entraîna vers la nuit de tous les tourments.

Pendant la période de convalescence passée chez mes parents, j’avais besoin d’être entourée en permanence, parce que j’étais susceptible d’avoir des pulsions suicidaires. Le dévouement et l’abnégation dont ma mère fit preuve chaque jour, à chaque instant, se privant parfois de sortir en ville ou de passer la soirée chez des amis, n’hésitant pas à contrarier mon père qui était incapable de mesurer la gravité de mon état, me firent prendre conscience de l’amour sans bornes qu’elle me vouait.

Elle sut me prodiguer les soins et les attentions dont j’avais grand besoin, si bien que je ne trouve pas les mots pour lui dire ma gratitude. Cependant, mon état s’étant amélioré, sa présence assidue à mes côtés finit par devenir pesante ; j’avais besoin d’être seule, de me sentir libre, indépendante. Alors, je me mis à attendre avec impatience le moment où, éloignée du foyer paternel, je me sentirais absolument libre de mes mouvements.

 Vivant seuls avec leurs querelles au seuil de la vieillesse, mes parents aimaient à me voir auprès d’eux (chacun pour des raisons différentes), surtout depuis que j’avais cessé d’être une charge. Ma mère s’ingéniait à trouver de bonnes raisons pour me retenir, me rappelant régulièrement que, avant toute chose, je devais consolider la guérison tant attendue. Une rechute était toujours à craindre. Elle appréhendait, à la vérité, le moment où elle devrait se priver de ma compagnie, pour se retrouver seule et désarmée devant le caractère entier, tyrannique, de mon père. Tant que j’étais là, ragaillardie par le soutien moral que lui apportait ma présence, elle trouvait la force de lui tenir tête ; et, parfois, sous prétexte que j’avais besoin de réconfort, elle quittait la chambre conjugale et venait achever la nuit dans mon lit. Alors, ne pouvant retrouver le sommeil, le coude appuyé sur l’oreiller, elle s’épanchait dans de longues confidences. Pour sa part, mon père, si ma permanence à la maison lui était agréable, c’était sans doute parce qu’il s’imaginait avoir deux femmes au lieu d’une, sous sa férule.

Je me résignai à rester à Marly encore quelques semaines, refrénant autant que je le pouvais mon envie de rentrer à Paris. À la réflexion, je trouvai que les mises en garde de ma mère n’étaient pas tout à fait dénuées de sens.

Mais vint l’été, le temps ensoleillé, les soirs lumineux, et avec eux un net regain de vitalité. Chez moi, Éros prenait le dessus sur Thanatos, me disait mon psy. Des poulains remuants gambadaient gaîment dans des enclos ; des oiseaux à l’œil vif, la queue frétillante, bondissaient d’une branche à l’autre; tandis que les uns voletaient de-ci, de-là,  d'autres gazouillaient joyeusement, cachés dans le feuillage. J’écartais les narines pour aspirer voluptueusement les senteurs de la forêt, les parfums des jardins et la fraîcheur de la fontaine qui susurrait à l’ombre des tilleuls. Mon cœur s’emballait au souvenir des émotions agréables que j’avais éprouvées par le passé, à la belle saison, en compagnie de l’homme dont l’amour redoublait en moi l’envie de guérir définitivement.  

Un beau jour, après une séance de plus sur le divan, enhardie par l’optimisme de mon psy, je décidai de partir quoi que mes parents pussent encore inventer pour me retenir. Je m’étais persuadé que ma guérison totale serait plus rapide chez moi, à Paris, ayant  retrouvé mes anciennes habitudes. Je reprendrais mon travail ; l’ambiance du bureau, ainsi que les contacts avec les collègues et les clients ne pouvaient être que bienfaisants, malgré la part d’inconnu, surtout en ce qui concernait l'avenir de mes rapports avec Luciano.

On était début juillet, un dimanche. Le temps était changeant ; parfois, une averse accompagnée de petites rafales rafraîchissait l’atmosphère orageuse. La première vague de vacanciers avait déjà quitté l’Île-de-France, ils se ruaient vers le sud, les uns avides des plages ensoleillées, d’autres recherchant le calme de la vie rurale, l’air tonifiant de la montagne.

 J’avais décidé de rentrer à Paris le matin; j'estimais qu’il me faudrait du temps pour prendre possession de moi-même, tout en me réappropriant mon nid de célibataire. Je fis part de mon intention à ma mère, qui n’essaya pas de m’en dissuader, même si elle regrettait que je ne pusse rester quelques jours de plus. Pour la consoler, je promis de revenir la voir dans la semaine ; de toute façon, je devais rentrer et reprendre le cours normal de mon existence, c’était inévitable. D’ailleurs, je ne pouvais plus tenir loin de chez moi ; j’avais hâte de retrouver la maison de mon bonheur passé, ainsi que les objets chers qui en étaient l’évocation physique.

J’étais sur le départ lorsque mon père vint me demander de rester pour le déjeuner. Il avait invité quelques amis, et comme ma grand-mère y serait aussi, elle ne manquerait pas de se plaindre, si elle ne me trouvait pas parmi eux.

Je fus choquée par l’assurance avec laquelle il se servait de mes sentiments pour me convaincre du bien-fondé de sa demande. Sachant le respect mêlé de tendresse que je vouais à ma grand-mère maternelle, il n’hésita pas à l’exploiter ouvertement pour atteindre ses fins.

Dans un accès d’humeur, j’eus envie de lui dire que j’avais vu mamie la veille au soir et qu’elle comprenait fort bien ma hâte de rentrer à Paris.  Je me retins, néanmoins, le laissant croire qu’il avait visé juste et fait preuve d’adresse en employant cet argument. Ma lâcheté devant la volonté de mon géniteur me renvoya une piètre image de moi-même ; je m’en voulais de lui avoir cédé sans la moindre résistance. J’avais beau me dire que, ne me sentant pas encore assez forte psychiquement pour l’affronter, il m’aurait été difficile d’agir autrement, je ne ressentais pas moins l’amertume de mon impuissance.

Mon père s’était levé de bonne humeur, comme à son habitude, lorsqu’un supplément de bien-être venait améliorer l’ordinaire ; il se réjouissait par avance des plaisirs en perspective. Il était de petite taille, courtaud, et bien que l’enjouement ait adouci son expression, je ne voyais pas dans son regard l’indulgence, la mansuétude que j’y avais en vain cherchées, quand j’étais enfant. Au contraire, j’y retrouvais quelque chose d’âpre, d’abrupt, qui, malgré les années, produisait en moi un irrépressible malaise, m’empêchant d’affirmer ma personnalité devant lui.

Il m’entretint de son départ à la retraite, qui aurait lieu dans un an, et des options sur titres qu’il avait accumulées au fil de sa carrière. Celles-ci valaient à présent une petite fortune, grâce au développement de la multinationale qui l’employait. Il avait acheté une partie au tiers de leur valeur, et le reste, c’est-à-dire plus de la moitié de son portefeuille, lui avait été offert comme récompense de sa diligence et de son efficacité.

Sa vie professionnelle et ses affaires étaient ses deux sujets préférés, il en discuterait pendant des heures. Quant à moi, je ne m’y intéressais guère, je l’écoutais par complaisance.

Enfin, il voulut savoir si je n’en avais pas assez d’arpenter les rues du 19e arrondissement, chargée de paperasses comme une bête de somme, exposée aux intempéries et aux morsures des chiens. Comme il connaissait bien le directeur de la poste, il pouvait lui en toucher un mot. Vu l’importance de l’entreprise publique et étant donné mon niveau de connaissances (je suis graphiste de formation), il ne serait sans doute pas difficile de dénicher un service où je pourrais exercer mes talents.

– Rien ne t’oblige à changer d’emploi, mais tu devais quand même essayer, dit-il, me voyant faire la moue, nullement enthousiasmée par son idée.

– Je te remercie, papa. Pour le moment, je ne sais pas très bien où j’en suis. Et, de toute façon, si un jour je décide de faire carrière comme graphiste, ce ne sera sûrement pas à la poste. Mais nous en reparlerons plus tard. Maintenant, je vais filer un coup de main à maman.

J’acceptai donc de prolonger de quelques heures mon séjour à Marly. Un refus de ma part aurait irrité mon père, quelles que fussent les raisons évoquées, et il m’en aurait tenu rigueur. Au reste, je savais que ma mère était débordée, et qu’elle avait grand besoin d’aide pour préparer le repas. Aussi peu motivé que maladroit, son mari ne lui était d’aucun secours, quand elle devait se démener pour venir à bout des tâches domestiques.

« En dehors de son métier d’ingénieur, aimait à répéter ma mère, il s’en sort plutôt mal ; mauvais bricoleur, mauvais conducteur, mauvais amant, enfin… que sais-je ? Tenez, un lit, demandez-lui de faire un lit, il n’y arrivera pas. Un jour, il a laissé tomber un œuf dont le contenu visqueux s’étala à ses pieds. Et savez-vous comment il s'est pris pour nettoyer les dalles ? Eh bien, il essaya de le ramasser à la petite cuillère.»

« Tu aurais dû le dresser depuis le début, ma chère, avant qu’il prenne le mauvais pli ! » s’écria Antonia, son amie de toujours.

« Le dresser ?… Autant demander à un chameau de marcher à reculons » répondit ma mère, clôturant ainsi le chapitre des considérations sur son mari.

Je rejoignis ma mère dans la cuisine, prête à la seconder. Elle apprit avec bonheur que, finalement, je ne partirais que l’après-midi. En plus de l’aide que je lui apportais, elle pouvait épancher sa colère rentrée contre l’attitude de mon père. Il se permettait d’inviter du monde sans lui demander son avis ; il avait l’air de ne pas se rendre compte des corvées qu’il lui infligeait. Puis, quoique résignée à son sort, elle me dit qu’elle avait envie de tout plaquer là, pour aller vivre en paix au bord de la mer, dans sa Toscane natale. 

 

Je vous l'offre gracieusement du 7/01/ au 11/01/2014 inclus 

http://www.amazon.fr/gp/product/B00R58ND4U

 

 

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Au Bonheur d'Écrire
  • Cette page sera essentiellement consacrée aux deux romans que je m'apprête à auto-éditer. J'en publierai ici des Extraits. Il n'empêche qu'on y trouvera également des écrits qui vont de la fable aux petites nouvelles en passant par de petits essais.
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